French translation of Foreign Policy article
Pourquoi ce n’est pas en changeant vos vieilles ampoules à incandescence et en faisant vos courses avec un sac en toile que vous sauverez la planète.
Le réchauffement climatique arrive à une vitesse et avec une intensité que personne n’avait anticipées, et pourtant la droite partisane de l’énergie fossile a quasiment réussi à éliminer la question de l’ordre du jour, sous couvert d’une prétendue défense des «marchés libres».
En réaction, les écologistes ont eu tendance à se retirer encore davantage dans leurs enclaves biologiques, alors que ce qu’il faut réellement, c’est retourner aux bases de l’économie: les marchés ne peuvent être libres quand les bénéfices sont privatisés et quand d’énormes coûts sont socialisés. Le seul moyen de sortir de cette crise écologique est d’aligner les intérêts individuels des citoyens sur la santé de la planète.
Le problème, c’est que ceux qui seraient justement les plus à même de nous aider –les économistes– ont été mis à l’écart du débat public.
D’un côté, vous avez les climatologues qui, avant toute chose, ont sous-estimé les véritables effets du réchauffement climatique –aujourd’hui, il semblerait que le Pôle Nord perdra sa banquise estivale d’ici la fin de cette décennie, devançant donc d’un demi-siècle les modèles scientifiques qui faisaient encore consensus en 2007.
De l’autre, vous avez de véritables croyants: les écologistes, qui semblent vouloir réduire, réutiliser et recycler la moindre parcelle de notre vie, et ne toucheraient sous aucun prétexte à un grain de raisin si ce n’était pas la saison, sans parler d’un sac en plastique.
«Aucun sacrifice individuel ne sera suffisant»
Le contraste est saisissant. Aujourd’hui, avec nos technologies, aucun comportement ou sacrifice individuel ne sera suffisant pour sauver ce navire du naufrage. D’ici 2050, nous devrons diminuer la totalité des émissions de gaz à effet de serre au moins de moitié par rapport à leurs niveaux actuels. L’action personnelle ne va, ni ne peut y arriver. Lors de la campagne présidentielle, Obama avait résumé la chose de la manière la plus éloquente qui soit: «Ce n’est pas en changeant chez moi mes putains d’ampoules à incandescence que nous pourrons résoudre le réchauffement climatique. Il faudra quelque-chose de collectif».
Commençons par le trafic aérien. Un vol Californie-New-York génère environ une demi-tonne de pollution au CO² par passager. Un vol transatlantique pollue la planète à hauteur d’une tonne par passager, à la louche. Chaque tonne de pollution au CO² cause au moins 20$ de dommages mesurables à la société –aujourd’hui même, pas dans un quelconque futur lointain, quand ces coûts seront multipliés par on ne sait pas combien.
Conscients de cela, les voyageurs aériens les plus vertueux cherchent à compenser leurs émissions. Ainsi, un grand nombre de sites marchands vous propose de payer volontairement quelques dollars supplémentaires afin que quelqu’un plante un arbre ou ferme un puits de méthane en votre nom. Les prix peuvent varier, mais ils oscillent autour de 20$ pour un vol transatlantique.
«Vous payez les dégâts que votre voyage causera à la planète»
Il y a même aujourd’hui des compagnies aériennes qui proposent cette option à leurs passagers. Tout d’abord, vous payez votre ticket, puis vous payez les dégâts que votre voyage causera à la planète. Évidemment, le but n’est pas de culpabiliser qui que ce soit. C’est d’ailleurs tout le contraire: les compagnies aériennes veulent que vous montiez à bord de leurs avions la conscience tranquille, et que vous ayez même envie de voyager plus souvent. Mais cette option n’a rien d’une solution: les gens seront rares à la choisir, tandis que le reste des parasites que nous sommes continuera à vivre sa petite vie et pourrait même être enclin à prendre davantage l’avion.
Le plus gros problème de ce genre de compensations volontaires, c’est qu’elles n’incitent absolument pas les compagnies aériennes à affréter des avions moins gourmands en carburant, ou à emprunter des routes minimisant les émissions de carbone. Quand les compagnies aériennes s’y résignent, c’est uniquement parce que cela leur permet de faire des économies. Évidemment, c’est inscrit dans l’ADN des compagnies: quand les prix du pétrole grimpent, par exemple, le temps séparant le décollage de l’atterrissage tend à augmenter lui aussi, vu que les avions réduisent leur vitesse pour économiser du carburant et des frais afférents.
Une politique soucieuse du climat devrait encourager ce type de changements à une échelle bien plus importante et promouvoir aussi bien plus d’innovations technologiques ambitieuses. Le trafic aérien ne représente peut-être que 3% des émissions à effet de serre industrielles, mais cette part connaît une croissance très rapide. C’est aussi un secteur où les alternatives existantes sont rares, du moins en ce qui concerne les longues distances. Ici, la nécessité d’avancées technologiques majeures est donc évidente.
Bonnes initiatives de l’UE
L’Union Européenne a décidé de prendre à son compte quelques-unes de ces judicieuses réformes. L’an prochain, elle commencera par limiter les émissions de ses avions, en partance comme à destination de son territoire. Ce système est encore loin d’être parfait: au départ, plus de 60% des quotas requis seront gratuits pour les compagnies, et le coût additionnel d’un vol Bruxelles-New-York s’élèvera à deux ridicules dollars en 2012. Mais c’est un début.
Les bonnes initiatives de l’UE ne s’arrêtent pas là. L’Union encourage d’autres pays à prendre des mesures comparables pour diminuer leurs émissions domestiques, et faire gagner à leurs compagnies aériennes une exemption lorsqu’elles franchissent le ciel européen. La planète ne saura donc pas où les émissions seront réduites, juste qu’elles le sont. Et ici, c’est un effet global que la planète pourra constater, vu que le système européen représente quasiment un tiers du trafic aérien international et des distances parcourues en avion.
«Payer pour la pollution»
L’aviation, évidemment, n’est pas le seul secteur où les bénéfices de la pollution profitent à quelques-uns, tandis que le reste de la planète s’occupe des factures. Ce type de socialisme des privilégiés –où les coûts sont pris en charge par la société afin de supporter le train de vie des riches– est malheureusement endémique.
Le reste du monde devrait s’inspirer de la stratégie européenne –et heureusement, de nombreux gouvernements se sont d’ores et déjà mis au diapason et tiennent les pollueurs responsables. La directive de l’aviation européenne n’est qu’une branched’un système d’échanges d’émissions bien plus important couvrant quasiment la moitié des émissions carbone annuelles de l’Union Européenne.
La Californie vient tout juste d’adopter une limitation encore plus ambitieuse des gaz à effet de serre. La Chine est en train de tester des systèmes de plafonnement et d’échange dans le cadre de son douzième plan quinquennal. En Inde, les revenus générés par la taxe sur le charbon, soit plus de 500 millions de dollars par an, sont utilisés pour étendre la portée des programmes à énergie propre. Et pas plus tard que le mois dernier, la législation en faveur d’une taxe carbone en Australie est venue à bout de son principal obstacle.
Autant d’exemples montrant qu’on n’a jamais rien sans rien. Quelqu’un doit toujours payer pour la pollution. En instituant une taxe carbone ou une limite directe sur les émissions, ce sont les pollueurs qui mettent la main au portefeuille.
Des ouvrages comme Freakonomics, et d’autres, ont peut-être popularisé l’imprévu en économie, mais ils ont aussi fait facilement oublier l’importance et l’efficacité des prescriptions économiques classiques. Des études ont montré qu’au moment d’acheter une voiture, les consommateurs sont prêts à payer tout de suite environ 70 cents de plus pour chaque dollar qu’ils économiseront en carburant sur toute la durée de vie de leur véhicule.
Vous pourriez examiner ces résultats et en déduire que les consommateurs ne sont pas complètement rationnels, et vous auriez raison. Mais vous pourriez aussi examiner ces résultats et en déduire que, si vous voulez diminuer les émissions et pousser les consommateurs à acheter davantage de véhicules économes en carburant, le meilleur moyen est d’augmenter le prix de l’essence par une taxe.
Cette idée ne vaudra de Prix Nobel à personne, mais c’est encore la plus essentielle. C’est aussi la meilleure façon de dévier toute la société de la course qui lui fera sinon percuter la planète de plein fouet.
«Les bonnes idées sont entre les mains des économistes»
Au final, les bonnes idées pour stopper le réchauffement climatique sont entre les mains des économistes, et non des moralistes. Les militants sont évidemment nécessaires, mais nous avons bien davantage besoin d’une armée luttant pour une réforme politique fondamentale que d’une armée de recycleurs. Et c’est tout particulièrement vrai quand ces derniers risquent d’interférer avec des réformes profondes.
Il y a dans le «biais de l’action unique» l’illustration d’un problème capital et qui nous concerne souvent lorsque nous faisons une chose –par exemple, recycler–, puis passons à autre chose. «Si je me soucie du réchauffement climatique? Mais je porte déjà mes courses dans un sac en toile de jute!».
Ce n’est pas comme si tout le monde ne devait pas revoir l’isolation de son domicile, trimbaler des sacs en toile et préférer les transports en commun dès que c’est possible. Tout le monde devrait le faire, pas par désir d’accomplir un sacrifice personnel, mais parce que c’est l’alternative la plus simple et la plus bon marché. Et seules des initiatives économiques bien pensées pourront faire en sorte que cela soit le cas.
Cette question a beau avoir été extrêmement politisée, il ne s’agit pas d’une opposition gauche contre droite, Républicains contre Démocrates, conservateurs contre conservationnistes, ou marché contre environnement. Il s’agit d’exploiter le pouvoir émancipateur des marchés et de nous transformer par conséquent, tous autant que nous sommes, en une force bienfaisante.
Gernot Wagner, economiste à l’Environmental Defense Fund et auteur de But Will the Planet Notice?: How Smart Economics Can Save the World. Traduit par Peggy Sastre.
French translation of Foreign Policy article “Cold, Hard Economics.”